Un peu de typographie...
D'habitude je m'intéresse plus au fond qu'à la forme, mais voilà, je me suis découverte un penchant pour les mystères de la typographie. Les polices d'écriture sont tellement présentes dans notre vie courante, des étiquettes sur les paquets de biscuits aux enseignes commerciales, que l'on a tendance à les oublier – sauf quand on s'apprête à écrire sur son ordinateur, et qu'on hésite entre Comic Sans (enfantine), Arial (passe-partout), Book Antigua (sérieuse) et Courier New (style machine à écrire/vieux fax, celle que j'ai choisi pour Londres Calling).
C'est quand même merveilleux, comme les différents styles de caractères et leurs tous petits détails ouvrent la porte d'un monde très particulier. De Claude Garamont à Roger Excoffon, les Français en ont inventés de très beaux (tout comme les Italiens, les Américains, les Allemands et les Suisses d'ailleurs)... Mais ici penchons-nous sur les plus belles majuscules et minuscules à être sorties des ateliers de typographie du Royaume-Uni... Elles font parties de l'identité visuelle du pays et méritent d'être (re)découvertes...
Caslon, 1734
Auteur: William Caslon, ancien graveur de pistolet et découpeur de pièces pour les relieurs de livres, pionnier de la typographie en Angleterre.
Histoire: La première police d'écriture britannique, Caslon a brisé le monopole des polices hollandaises de Van Dyck et Voskens, très en vogue à Londres à l’époque. Caslon a passé plus de 14 ans à travailler sur cette police (et ses versions grecque, arabe, etc). Son travail a un succès immédiat, et Caslon est très vite utilisée dans tout l'empire britannique, sur de nombreux documents historiques.
Caractéristiques: De style baroque hollandais, avec des italiques rythmées et calligraphiques. Les lettres A, V et W sont très penchées; le très beau signe & montre clairement combien les fioritures et boucles plaisaient à Caslon.
Usages: La déclaration indépendance des États-Unis a été imprimée en Caslon; l’écrivain George Bernard Shaw voulait que ses oeuvres ne soit publiées qu’en Caslon. Pendant de nombreuses années, la plupart des imprimeurs et typographes avaient pour devise: ‘When in doubt, use Caslon.’ (Si tu hésite, utilise Caslon.)
Baskerville, 1757
Auteur: John Baskerville, un professeur d’écriture de Birmingham qui après avoir fait fortune dans les objets en laque s’intéressa au monde de l’imprimerie. Un personnage méticuleux, Baskerville aimait à contrôler tout le processus d’imprimerie, des presses, aux encres, aux papiers, pour s’assurer un résultat parfait – comme c’est le cas pour son chef d’oeuvre, une Holy Bible datant de 1763.
Histoire: La police d’écriture Baskerville a été conçue comme une amélioration de celle de Caslon; Baskerville la voulait plus lisible, plus cohérente, plus nette. Il augmente donc le contraste entre traits fins et gras, crée des sérifs plus effilés, et utilise des formes plus circulaires et des lettres plus régulières. Ses matrices furent rachetées par Beaumarchais (Le Mariage de Figaro), et plus tard utilisées pour imprimer de la propagande révolutionaire à Paris.
Caractéristiques: Située entre les vieilles Caslon et les modernes Bodoni, cette police se reconnait à ses longues tiges, ses sérifs très fins, et ses italiques inspirées du mouvement rococo. Son Q majuscule et son g minuscule sont des classiques de la typographie.
Usages: Son air élégant et raffiné en fait une police souvent utilisée pour apporter du sérieux, de la dignité et de la tradition. Baskerville est aussi souvent utilisée pour imprimer des longs textes et des livres, comme ceux du Harvard University Press à partir de 1917. Aujourd'hui c'est l'une des polices disponibles pour lire des livres sur le iPad...
Fat faces, 1810
Auteurs supposés: Robert Thorne du Fann Street Foundry et William Thorowgood
Histoire: Créée à l'ère de la révolution industrielle et de l'urbanisation massive, pour les panneaux publicitaires de Londres (c'est d'ailleurs la première police à avoir été dessinée spécifiquement pour des posters de pub), la Fat Face est une police qui crie à plein poumon "regardez moi, regardez moi", puisqu'elle était en compétition avec tout les détails de la vie moderne et de la ville surpeuplée.
Caractéristiques: Très grasse, limite obèse, c'est une police très verticale et très imposante évidemment vu son nom: c'est une police du type 'fat face' (gros visage) qui s'appelle parfois éléphant...
Usages: Pratiquement sur tous les posters du 19ème en Angleterre, avec ses collègues les égyptiennes et les woodcuts (plutôt d'origines américaines), dans toutes les tailles possibles.
Clarendon, 1845
Auteur: Robert Besley de la Thorowgood Foundry (qui apparemment serait ensuite devenu maire de Londres)
Histoire: Au milieu du 19ème, les gens commencent à en avoir marre de se faire crier dessus. C'est à ce moment qu'apparaît Clarendon, qui apporte un peu d'ordre et beaucoup moins d'extravagances que les fat faces précédentes. Du coup, on peut aussi l'utiliser pour composer de plus longs textes, et pas seulement des posters. Elle tient son nom de la Clarendon Press d'Oxford.
Caractéristiques: Selon ses créateurs, la Clarendon possède des contours élégants, évitant le côté maladroit des polices aujourd'hui en vogue chez les imprimeurs, mais plus frappante que les caractères Romains ordinaires. La première police d'écriture à être patentée, la Clarendon fut très populaire et ensuite maintes fois copiée.
Usages: Une de ses versions, la French Clarendon, était autrefois sur les posters "Wanted" du Grand Ouest américains et les posters de cirques. Aujourd'hui elle apparaît dans le logo de Sony, Starbucks, et du journal El Pais.
Suite au prochain numéro, avec les polices de la BBC, du métro, et des Penguin books...