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Londres calling
4 juin 2012

Le peuple d'en bas, de Jack London

JackLondon

L'été 1902, il y a donc 110 ans, l'intrépide écrivain et journaliste américain Jack London, l'auteur de Croc Blanc, est parti à l'aventure. Non pas dans les forêts de son pays natal, mais dans le East End de Londres, le 'sous-monde' de la capitale que l'on disait à l'époque être le plus grand taudis du monde. Difficile pour un gentilhomme de se rendre de ce côté-ci de la ville. Même l'agence de voyage Thomas Cook refuse de l'aider à organiser son séjour. Finalement, il s'habille de guenilles, et loue une chambre près de Spitalfield, aujourd'hui un des quartiers les plus branchés de Londres.

Ce qu'il voit cet été là le choque à tel point qu'il décide d'écrire un livre, The People of The Abyss (vous pouvez le lire ici en anglais). Il se demande comment peuvent bien vivre les gens du East End, et sa réponse est catégorique: 'The answer is that they do not live.  They do not know what life is. They drag out a subterbestial existence until mercifully released by death.' (La réponse c'est qu'ils ne vivent pas. Ils ne savent pas ce que c'est la vie. Ils font traîner une existence sous-bestiale en attendant d'en être soulagés par la mort.) Des mots durs qui reflêtent une situation qui l'est encore plus... 

Morceaux choisi de The People of the Abyss, un classique qui a heureusement à choqué la société anglaise et a sans doute aider à faire changer les choses...

Les chiffres

The figures are appalling: 1,800,000 people in London live on the poverty line and below it, and 1,000,000 live with one week’s wages between them and pauperism. In all England and Wales, eighteen per cent of the whole population are driven to the parish for relief, and in London, twenty-one per cent of the whole population are driven to the parish for relief. In the United Kingdom, 8,000,000 simply struggle on the ragged edge of starvation, and 20,000,000 more are not comfortable in the simple and clean sense of the word. (Les chiffres sont affligeants: 1,800,000 personnes à Londres vivent sous le seuil de pauvreté, et 1,000,000 vivent avec une semaine de salaire entre eux et la misère. En Angleterre et au Pays de Galles, 18% de la population doit demander de l’aide à leur paroisse, et à Londres, 21% de la population dépend de leur paroisse pour survivre. Au UK, 8,000,000 sont au bord de la famine, et 20,000,000 ne sont pas confortables au sens simple et propre du mot.)

La surpopulation

In the last twelve years, one district, “London over the Border,” as it is called, which lies well beyond Aldgate, Whitechapel, and Mile End, has increased 260,000, or over sixty per cent. The churches in this district, by the way, can seat but one in every thirty-seven of the added population. (Durant les 12 dernières années, un quartier, ‘Londres par dessus la frontière’, comme on l’appelle, qui s’étend bien après Aldgate, Whitechapel et Mile End, a augmenté 260,000, ou de plus de 60%. Les églises de ce quartier, soit dit en passant, ne peuvent accueillir que une sur 37 personne de cette nouvelle population.)

 “A part of a room to let.”  This notice was posted a short while ago in a window not five minutes’ walk from St. James’s Hall.  The Rev. Hughes is authority for the statement that beds are let on the three-relay system—that is, three tenants to a bed, each occupying it eight hours, so that it never grows cold; while the floor space underneath the bed is likewise let on the three-relay system.  (“Une partie d’une chambre à louer”. Cette annonce était postée il y a peu de temps sur une fenêtre à cinq minutes de St Jame’s Hall. Selon le révérend Hughes, les lits sont loués dans un système de trois relais – c’est à dire, trois locataires par lit, chacun l’occupant 8 heures, ce qui fait que le lit n’est jamais froid; l’espace sur le plancher sous le lit est souvent loué sur le même système.)

Here is a typical example of a room on the more respectable two-relay system. It is occupied in the daytime by a young woman employed all night in a hotel. At seven o’clock in the evening she vacates the room, and a bricklayer’s labourer comes in. At seven in the morning he vacates, and goes to his work, at which time she returns from hers. (Voici un exemple typique d’une chambre avec un système, plus respectable, de deux  relais: durant la journée, le lit est occupé par une jeune femme travaillant toute la nuit dans un hôtel. A 19h elle laisse la chambre à un maçon, qui y reste jusqu’à 7h du matin puis s’en va à son travail, au moment ou elle revient du sien.)


Le travail

London tente à plusieurs reprises de se faire engager comme main d’oeuvre. Il suit également la foule de pauvres et de sans-abris hors de Londres, s’aventurant dans le Kent pour la saison des moissons. Les journaux de Londres couvrent la migration de ces saisonniers ainsi: ‘Tout plein de clochards, mais le houblon n’est pas encore mur.’

In an hour’s time we became as expert as it is possible to become.  As soon as the fingers became accustomed automatically to differentiate between hops and leaves and to strip half-a-dozen blossoms at a time there was no more to learn. As the afternoon wore along, we realised that living wages could not be made—by men.  Women could pick as much as men, and children could do almost as well as women; so it was impossible for a man to compete with a woman and half-a-dozen children.  For it is the woman and the half-dozen children who count as a unit, and by their combined capacity determine the unit’s pay (a little over a penny an hour). (En une heure nous somme devenus aussi experts qu’il est possible de le devenir. Dès que les doigts arrivent à différencier automatiquement le houblon des feuilles, et à cueillir une demi-douzaine de fleurs en un coup, il n’y a plus rien à apprendre. Alors que l’après-midi touchait à sa fin, nous réalisâmes que les hommes ne pouvaient espérer gagner un salaire minimum vital. Les femmes pouvaient cueillir autant de houblon que les hommes; et donc il était impossible pour un homme de concurrencer une femme et sa demi-douzaine d’enfants. Car la femme et sa demi-douzaine d’enfants compte comme un, et par leur capacité de travail détermine le salaire (un tout petit plus d’un sou de l’heure).

La saleté

No more dreary spectacle can be found on this earth than the whole of the “awful East,” with its Whitechapel, Hoxton, Spitalfields, Bethnal Green, and Wapping to the East India Docks. The colour of life is grey and drab.  Everything is helpless, hopeless, unrelieved, and dirty. Bath tubs are a thing totally unknown, as mythical as the ambrosia of the gods.  The people themselves are dirty, while any attempt at cleanliness becomes howling farce, when it is not pitiful and tragic. Strange, vagrant odours come drifting along the greasy wind, and the rain, when it falls, is more like grease than water from heaven. The very cobblestones are scummed with grease. (Il n’y a pas de spectacle plus triste sur cette terre que l’Est horrible, avec son Whitechapel, Hoxton, Spitalfields, Bethnal Green, et de Wapping à East India Dock. La couleur de la vie y est grise et glauque. Tout y est sans défense, sans espoir, absolu, et sale. Les baignoires y sont complètement inconnues, et quelque tentative de propreté est une énorme farce, quand elle n’est pas pitoyable ou tragique. Des odeurs étranges, vagabondes, dérivent avec le vent graisseux, et la pluie, quand elle tombe, est plus graisse qu’eau tombée du ciel. Même les pavés  sont pleins de graisse.)


Les enfants

There is one beautiful sight in the East End, and only one, and it is the children dancing in the street when the organ-grinder goes his round. It is fascinating to watch them, the new-born, the next generation, swaying and stepping, with pretty little mimicries and graceful inventions all their own. (Il est un beau spectacle dans le East End, et un seul, et ce sont les enfants dansant dans la rue lorsque que le joueur d’orgue de barbarie passe devant chez eux. C’est fascinant de les voir, eux, ces nouveau-nés, la génération prochaine, se balançant et faisant des petits pas, avec de jolies petites mimiques et invention élégantes.)

Mais évidemment ceci se termine toujours mal, ce que Jack London appelle un ‘massacre des innocents’, avec chiffres à l’appui:

A committee of the London County school board makes this declaration: “At times, when there is no special distress, 55,000 children in a state of hunger, which makes it useless to attempt to teach them, are in the schools of London alone.” ) Un committé du conseil d’établissement du London County a déclaré: ‘A certaines période, quand il n’y a pas de grands bouleversements, 55,000 enfants viennent à l’école en ayant faim, ce qui rend inutile toute tentative de les éduquer.’)

Fresh in my mind is the picture of a boy in the dock of an East End police court.  His head was barely visible above the railing.  He was being proved guilty of stealing two shillings from a woman, which he had spent, not for candy and cakes and a good time, but for food. “Why didn’t you ask the woman for food?” the magistrate demanded.  “She would surely have given you something to eat.” “If I ’ad arsked ’er, I’d got locked up for beggin’,” was the boy’s reply. (Encore vive dans ma mémoire est cette image d’un garçon dans un tribunal du East End. Sa tête était à peine visible au dessus de la barrière. Il était tenu coupable d’avoir volé deux shillings à une femme, avec lesquels il avait acheté, non pas des bonbons et des gâteaux et du bon temps, mais de la nourriture. ‘Pourquoi n’as tu pas demandé à la dame de la nourriture?’ lui a demandé le magistrat. ‘Elle t’aurai surement donné quelque chose à manger.’ ‘Si je lui avais demandé, j’aurai été emprisonné pour mendicité,’ répond le garçon.)

Les sans-abris

London explique que les sans abris se font chasser des parcs et places publiques par les policiers, car une loi leur interdit d’y dormir la nuit. Ce qui fait que les SDFs passent leur nuit à fuir les flics sans pouvoir se reposer, et tombent de fatigue le matin venu. Ils passent donc leur journée à dormir au lieu de chercher du travail. London raconte ainsi sa visite dans le petit parc à côté de Christ’s Church à Spitalfields:

The shadow of Christ’s Church falls across Spitalfields Garden, and in the shadow of Christ’s Church, at three o’clock in the afternoon, I saw a sight I never wish to see again. There are no flowers in this garden, which is smaller than my own rose garden at home. Grass only grows here, and it is surrounded by a sharp-spiked iron fencing, as are all the parks of London Town, so that homeless men and women may not come in at night and sleep upon it. (L’ombre de l’église Christ’s tombe sur le parc de Spitalfields, et dans cette ombre, à trois heures de l’après-midi, j’ai vu quelque chose que je ne veux plus jamais voir de ma vie. Il n’y a pas de fleur dans ce jardin, qui est plus petit que ma roseraie. Seule l’herbe pousse ici, et elle est entourée de clôtures en métal pointues, comme tous les parcs de Londres, pour que les sans-abris, hommes ou femmes, ne puisse pas venir y dormir la nuit.)

We went up the narrow gravelled walk. On the benches on either side arrayed a mass of miserable and distorted humanity, the sight of which would have impelled Doré to more diabolical flights of fancy than he ever succeeded in achieving. A chill, raw wind was blowing, and these creatures huddled there in their rags, sleeping for the most part, or trying to sleep. Here were a dozen women, ranging in age from twenty years to seventy. Next a babe, possibly of nine months, lying asleep, flat on the hard bench, with neither pillow nor covering, nor with any one looking after it. Next half-a-dozen men, sleeping bolt upright or leaning against one another in their sleep. (Nous avons avancé sur le chemin étroit en gravier. Sur les bancs de chaque côté étaient arrangée une masse d’humanité misérable et déformée, une telle vision aurait inspiré à Doré des scènes encore plus diaboliques que celles qu’il aurait pu imaginer. Un vent froid soufflait, et ces créatures se blôtissaient ici dans leurs haillons, la plupart dormant ou essayant de s’endormir. Il y avait là une douzaine de femmes, de 20 à 70 ans. Un bébé, peut-être de 9 mois, dormant sur un banc tout dur, sans oreiller ou couverture, ni personne le surveillant. Et une douzaine d’hommes, dormant debout ou s’appuyant l’un sur l’autre dans leur sommeil.)

Vivre de miettes

 London rencontre un couple sur un banc et les emnènent manger un bout en échange de quelques réponses à ses questions...

“After you have been out all night in the streets,” I asked, “what do you do in the morning for something to eat?”
“Après avoir passé la nuit dehors dans la rue,” je leur demandais, ‘comment faites-vous pour manger quelque chose le matin?”

“Try to get a penny, if you ’aven’t one saved over,” the man explained.  “Then go to a coffee-’ouse an’ get a mug o’ tea.”“Essaye de trouver un sous, si tu n’en a pas économisé un,” explique l’homme. “Ensuite va dans un café et achète une tasse de thé.”

“But I don’t see how that is to feed you,” I objected.
“Mais je ne vois pas comment cela peut vous nourrir,” protestais-je.

The pair smiled knowingly. Le couple sourit d’un air entendu.

“You drink your tea in little sips,” he went on, “making it last its longest.  An’ you look sharp, an’ there’s some as leaves a bit be’ind ’em.” “Tu bois ton thé par petites gorgées,” il continue, “pour le faire durer le plus longtemps possible. Et tu regardes bien, certaines personnes laissent des restes en partant.”

“It’s s’prisin’, the food wot some people leaves,” the woman broke in.
“C’est fou, la nourriture que certaines personnes laissent,” dis la jeune femme.

“The thing,” said the man judicially, as the trick dawned upon me, “is to get ’old o’ the penny.”
“Le truc,” dit l’homme judicieusement, comme je venais de le réaliser, “c’est de trouver un sou.”

As we started to leave, Miss Haythorne gathered up a couple of crusts from the neighbouring tables and thrust them somewhere into her rags. “Cawn’t wyste ’em, you know,” said she; to which the docker nodded, tucking away a couple of crusts himself.
Lorsque nous nous apprêtions à partir, Miss Haythorne ramassa quelques miettes sur les tables avoisinantes et les rangea quelque part dans ses haillons. Ce à quoi le docker hoche la tête, rassemblant quelques miettes lui aussi.

 

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Commentaires
A
J'ai très envie de le lire, ce livre! Le sujet est vraiment intéressant et j'ai aimé ce que j'ai pu lire de London jusqu'à maintenant. Je prends note!
M
Je n'ai jamais lu ce livre, mais tu m'as fait envie du coup. Ca peut être intéressant de comparer Londres à cette époque et maintenant, même si on sait que ce quartier était beaucoup plus pauvre à l'époque.
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